Une nouvelle collective


Parfois, des envies naissent. Il y a les idées avortées, celles qui font rêver et les fois où l'on se dit pourquoi pas ?

Ce texte est le fruit d'un travail collectif, d'une envie de se rassembler et d'écrire ensemble. Comme dans un orchestre, chacun y va de son instrument en jouant des notes précises et libérées pour offrir une mélodie harmonieuse et délicate.

Le point de départ de ce texte fut notre rencontre avec Mohamed Nedali, auteur marocain. Il a partagé avec nous sa passion des mots et des belles lettres. Avec lui, nous avons voyagé et rapporté quelques errances littéraires.

Bonne lecture...

Pour la revoir. De loin. Pas longtemps.

Lui

Pan ! Pan ! Pan ! Vingt mille euros ! Voilà le fruit de ma journée. Parce que j'ai le goût du risque, je reviens souvent sur les lieux du crime. Je ne devrais pas. Je ne devrais jamais. Pourtant, j'y suis retourné cette fois-ci encore, pour la revoir. De loin. Pas longtemps. Mais la revoir quand même.
Vingt mille euros seulement. Le casse a foiré, le butin devait se chiffrer en millions. Je dois disparaître rapidement. Partir là où ni la police, ni les commanditaires ne me retrouveront. Là où je serai libre de mes mouvements et en un seul morceau. Mais elle me hante. Mon indic dans la police m’a prévenu qu’elle était toujours en charge de l’affaire. C’est qu’elle me poursuit. Depuis le temps, elle est sur tous mes casses. Elle me connaît par cœur, mieux que la mère qui m’a vu naître. Cela fait cinq ans maintenant qu’on joue au chat et à la souris. Mais la distribution des rôles n’est pas très claire. La souris provoquerait-elle le chat juste pour le plaisir de se faire poursuivre ?
Cette fois, elle se fait désirer, alors que précédemment, elle déboulait comme une furie sur les lieux, juste pour analyser les infimes traces de mon passage. Aujourd’hui, elle tarde à venir alors que je suis pressé. Mon téléphone vibre en continu. Ils m’attendent et s’impatientent. Si je rate l’heure du départ, je serai livré à moi-même. En proie à mes démons. En proie à mes passions. Il faut que je fuie. Mais il faut que je la revoie. Même de loin. Juste un instant.
Je suis en retard. Raoul, Alex et Steph ne sont pas vraiment des enfants de chœur. J’en suis persuadé, ils m’abandonneront sans aucun scrupule. Nous avons rendez-vous au port maritime du sud de la ville. De là nous devrions embarquer clandestinement dans un Ferry en partance pour Anvers. Si tout se déroule comme prévu, Raoul, mon faussaire attitré, aura les passeports avec nos nouvelles identités. Nous pourrons alors embarquer sans problème. Depuis que je le connais, il ne m’a jamais fait faux bond. Calme et efficace, Raul est un véritable artiste. Il est plein d’inventivité et me surprend toujours par sa dextérité. Un jour Antonio, le lendemain Samir et le surlendemain Sven, il me fait prendre mille visages au gré de ses envies. Je jongle ainsi avec les identités qu’ils me donnent et les autorités n’y voient que du feu. Faut dire que je suis aussi très bon acteur.
Ce plan d’évasion de dernière minute nous sauvera peut-être la mise, si la police ne nous met pas la main dessus avant. Mon téléphone continue de vibrer, c’est Raoul. Je décroche. Il pue le stress. On est vraiment mal cette fois. Il me dit de venir rapidement et me prévient que le Ferry arrive à quai, qu’ils ne vont pas tarder à embarquer et que si je ne suis pas là à temps, eux, doivent sauver leur peau. Je lui dis que j’arrive, je serai là à temps. A peine ai-je raccroché que mon téléphone vibre à nouveau : c’est mon indic qui me prévient qu’elle arrive sur les lieux du crime.

Elle, elle... Faut que j’arrête de parler d’elle ! Déjà que je passe mon temps à l’imaginer partout, dans le bus, au cinéma, dans une boîte de nuit, au supermarché, quand je travaille.
Dès que je crois l’apercevoir, j’ai la réaction la plus puérile du monde: la fuite. D’une certaine manière j’ai peur d’elle : elle m’impressionne, cette belle métisse aux yeux de biche. Ses cheveux bouclés sont tels des ressorts qui atteignent sa poitrine.
Sa poitrine... Je suis certain qu’elle ne le fait pas exprès mais des décolletés plongeants c’est pas ça qui manque dans son armoire et ça me convient.
Très grande, cheveux noirs de jais, dents blanches et lèvres rosées, elle est belle. Ça me révolte quand Alex dit qu’elle est bonne. Bonne ? Cette fille est l’incarnation de la perfection féminine à l’état pur !
J’ai l’impression d'être un gamin de 15 ans tellement cette Shéhérazade des temps modernes me bouleverse de tout mon être.
Elle

L’aéroport de Zaventem, un petit bureau au terminal des entrées et sorties, un brouhaha de gens, de senteurs, d’arrivées de tout horizon, de toutes couleurs. Le bureau se trouve là, un poste important où il se passe bien des choses.
J’y ai vu des vertes et des pas mûres, les murs ont de quoi écrire des séries policières : photos de truands, de diplomates, de trafiquants, de gentilles petites mémés qui se révèlent être des femmes de poigne et parfois même des agents secrets ! Ces murs ont fait les frais de quelques bousculades : on m’a tiré dessus, cassé des vitres, des chaises... Des traces ineffaçables.
Et oui, ce bureau est un lieu de drames en tout genre, où nous, policiers, jonglons entre trafic d’animaux, d’oeuvres d’art, d’argent, de drogues et de personnes.
Un lieu de rencontres : des gentils, des méchants, des paumés. A l’abri des regards, pour les interrogatoires, un bureau, ou plutôt des bureaux avec des chefs, des flics: petits, grands, gros, filles et garçons se côtoient dans ce lieu où des histoires se trament. 

Ici, je passe pour une fille qui n’a pas froid aux yeux et j’avoue que ça m'amuse d'en mettre plein la vue aux flics qui me prennent pour une cinglée. Jouer la petite nana plein de déboires me fait bien rigoler, même s’ils me prennent de plus en plus pour une folle. Je n’en tiens pas compte et je n’en fais qu’à ma tête.
De toute façon je passe le plus clair de mon temps sur le terrain, en sous-marin, comme ils disent.
Je me suis infiltrée dans une bande de voleurs bien particulière. La tête pensante est fils de diplomate et on dit de lui qu’il est plutôt beau gosse. On l’appelle “Le Schrimp”. Je n’ai pas encore eu l’occasion de l’épingler mais ça viendra.
J’aime bosser sur le terrain, c’est d’ailleurs grâce à Raphaël Del Nocce, alias le Schrimp que je dois mon travail. C’est quand même un des plus grands braqueurs recherché dans le pays, voire dans le monde entier. Il est connu pour être imprenable. Il nous échappe constamment. Personne ne connaît sa description physique, ce qui n’est pas pour nous aider. Il est passé maître depuis un moment dans l’art du déguisement. D’après mes déductions, il change régulièrement d’apparence et d’identité. Il me tarde d’ailleurs de le rencontrer, que je sois fixée. On dit de lui, qu’il mesure 1m85, qu’il a le regard profond et intense. J’en frissonne déjà. Sinon au gré des enquêtes, on le décrit blond ou brun, crâne rasé ou cheveux courts, longs ou mi-longs. Hormis sa taille, qu’il ne peut changer, il m’est un point d’orgue à ne pas masquer son regard brun et pénétrant.
Premier jour d’infiltration. Tout a été répété, vérifié pour que mon arrivée dans cette bande de malfrats, trafiquants de diamants se passe le plus naturellement du monde. Je connais l’entrepôt où ils déposent la marchandise, mais visiblement pas suffisamment puisqu’on n’a jamais réellement trouvé quoi que ce soit à l’intérieur.
Je suis habillée en civil. C’est peut-être un détail, mais j’en connais un qui avait oublié de se changer avant une infiltration. Il est 17 heures. J’enlève mon oreillette qui me torture le lobe. J’arrive à l’entrepôt, côté sud. C’est plus discret et c'est certainement par là que les trafiquants passent. Je vois au loin deux types dont l’un est pas mal foutu. Il me semble que je connais l’autre gars. Oui ! C’est bien ça ! Il s’est déjà fait épingler pour plusieurs délits. Je le sais, je m’en souviens, c’était avec mon collègue, alors que j’étais encore une jeune stagiaire. Il va falloir feinter, croiser les doigts pour qu’il n’ait aucune mémoire ou…rebrousser chemin et choisir une autre taupe.
Je m’approche de lui d’un pas décidé et le salue. Il me fixe, m’examine de la tête aux pieds, des pieds à la tête, me sourit et me salue enfin.
- Myriam ? Comme ça fait plaisir ! ça fait si longtemps… Qu’est-ce que tu deviens ?
Bon, pour le plan, on repassera. Je saisis ma chance et improvise.
- Hé bien mon chou, le vie n’est pas tendre avec moi et j’ai tant besoin de thunes. Je suis dans la dèche. Je ne sais plus comment faire. Manger devient si difficile.
- Ma beauté, je peux t’aider si tu me promets de ne pas me balancer aux flics.
- Si tu m’aides, pourquoi je ferais ça ?
- Pour le moment, avec ma petite bande, on trafique des diamants et des bijoux. Je peux te dire que ça rapporte gros. Tu veux que je prenne un rendez-vous avec le Shrimp ?
J’acquiesce. Il s’éloigne et sort son GSM. J’écoute comme je peux. « Code couleur, code couleur ! Myriam est de retour. Elle veut nous aider. Oui, tu as tout compris. Rendez-vous demain, même endroit, même heure. Je note. Je transmets. »
- Voilà Myriam. Reviens demain, ici, à 17h et il te dira ta mission. Maintenant, il vaut mieux que tu ne traînes pas ici. C’est un quartier mal famé.
Je le salue, le remercie pour ce qu’il vient de faire et pars.
Parée pour cette nouvelle mission.
Lui



C'est un entrepôt près du port. J'y cache tout ce qui passe par la douane maritime. C’est mis en vrac derrière une porte en fer. Je me moque un peu que l’endroit soit plein de poussière et qu’il y ait comme occupants des araignées et des rats. Derrière la porte, il y a une véritable caverne d’Ali Baba.



Cet entrepôt, c'est mon repaire depuis tout petit déjà. Comme une cabane. J'en connais les moindres recoins, je peux m'y retrouver, avec ou sans lumière. Quand je fuguais, c'était pour aller là-bas. Vers neuf ans, j'ai commencé un trafic de bonbons. A l'adolescence, ce sont tous les magazines porno qui ont transité par ici. Rien de bien méchant comme trafic, jusqu'au jour où j'en ai voulu plus : plus d'argent, plus de richesse, plus de notoriété. Vers seize ans, alors que j'allais encore à l'école, j'ai commencé à négocier d'autres trucs... Plusieurs fois déjà, j'ai pensé à changer d'endroit, plusieurs fois déjà, mon repère a été fouillé. Rien n'a jamais été trouvé. Mais jusqu'à quand ?
Des coups de feu, des flics et mes chers amis avec le butin. Objectif : ravitailler les diamantaires et les bijoutiers de la ville.
Le butin dans un sac à dos, je fuis mes complices et la police. Mon repaire. Je traverse les petites routes et je prends des raccourcis pour me retrouver dans ma tanière.

Cet entrepôt se trouve dans le port de Bruxelles. Un port de plaisance et de marchandise. Facile ici de louer un bateau avec un capitaine pour une croisière privée. C'est le bon endroit pour cacher des choses. Ou des gens.
Mais moi, ce qui me plaît dans cet endroit c'est tous ces mystères et ces voyages rapportés dans ces colis du bout du monde.
Cet endroit a un charme qui dégage un parfum d'aventure, rien que par ses volumes, ses caisses, les hommes et les femmes qui y travaillent. J'ai toujours adoré cet endroit pour la part du mystère que j'y trouve.
Ici on est comme en région maritime avec tout le va-et-vient des bateaux, des péniches du monde du métal. C'est assez surréaliste et j'aime bien ça, moi qui ai toujours côtoyé le monde des ambassades et des soirées mondaines...
C'est ce monde qui m'a permis de me faire passer pour le gentil gosse de la haute. J'y joue un jeu que j'aime bien et je m'y amuse autant que quand je me cache dans mon fourbi qui se trouve dans un des dépôts du port. Le port, j'en ai fait un petit palace avec tout le confort, la discrétion en plus. A l'abri des regards, il n'a jamais été trouvé. Je m'y cache depuis des années. Je savoure ma force et je trouve ça très comique .
Eux

La voilà enfin. Elle s'est fait désirer mais cela en vaut la peine. Nous nous sommes donné rendez-vous tout près du repaire. Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête pour en arriver là. C'est une flic, infiltrée dans mon affaire, je le sais mais... Je fais quoi ?
L'avantage, c'est qu'elle ne sait pas qu'elle s'est fait démasquer dès son premier jour de mission.
Je garde mon calme, je DOIS garder mon calme et éviter de vaciller vers son ensorcelante beauté. La situation est critique.
Le dialogue restera court.
- Salut. C'est donc toi, le Shrimp?
- Tu te fais attendre ? Je déteste les retardataires.
- Problèmes de circulation. Tu étais donc présent depuis le premier jour… On peut aller dans un endroit plus discret pour discuter ?
- Où ?
- Eh bien, dans ton repaire par exemple ?
- Lien avec des flics, hommes de lois ?
- Les flics? Je les emmerde.
Bien joué de sa part, mais c'est déjà trop tard pour elle.
- Hé bien allons-y !
Je l'emmène dans l'une des nombreuses pièces de l'entrepôt dans laquelle il n'y a évidemment aucune marchandise. Carrément miteux pour un premier rendez-vous galant.
- Alors beauté, avant de parler affaires, parlons de la vie. Qu'est-ce qui t'amène ici ?
Ça y est, je craque. Je parle beaucoup trop.
- J'ai besoin de fric si je ne veux pas finir dans la rue. Le reste ne t'intéressera pas !
- Tu es si charmante que j'ai beaucoup de mal à te croire.
- On parle affaires, oui ou merde ?
- Je te propose de donner l'argent dont tu as besoin et en échange, tu me fais plaisir.
Hé merde, je débloque complètement ! Pour qui elle va me prendre. Quel beau salaud !
- Tu me prends pour une pute ? C'est quoi ce bordel. Je croyais qu'on était réglo.
- C'est bon, pas de quoi s'affoler, c'est mon coté animal qui est sorti tout seul. Je fais des choses pas très légales mais j'ai un total respect pour les personnes, et encore plus pour les femmes.
Description du casse du siècle, avec les missions de chacun. 
Explication de la répartition du butin. Aucune réticence de la belle, peu de réactions. Je m'en suis plutôt bien sorti. Il était hors de question de lui montrer ma véritable planque, au risque de me retrouver en prison. Mais si je la garde encore maintenant dans mon affaire, c'est parce que je suis littéralement envoûté par son charme. Et que je veux l'épouser. Et pas seulement dans mes rêves.

Je me suis trahi, elle sent désormais qu’elle a l’avantage. Pourtant, et assez bizarrement, elle n’en joue pas. Elle reste pro. Ce qui ne fait qu’accroître la considération que j’ai pour elle.
- Alors, on parle affaire ou est-ce que tu me fais perdre mon temps ? dit-elle avec une pointe de nervosité. Je t’ai dit que j’avais besoin de thunes, ça ne veut pas dire que je suis à ta merci. Des gars comme toi j’en connais des tas, mais eux au moins ils ont la courtoisie de me donner leur nom.
- Va donc les voir alors ! dis-je avec le plus de détachement possible
- Ben ça c’est déjà fait. Je ne t’ai pas attendu pour aller voir ailleurs. Mais, d’après ce qui se dit c’est toi le meilleur.
La conversation semble prendre un tournant inattendu.
Mais le temps presse, la situation est critique, faut que je sauve ma peau. Après on verra.
- Comment pourrais-je avoir confiance en toi ? Es-tu vraiment celle que tu prétends être ?
Je laisse un blanc de quelques secondes s’installer. Peut-être que cela la fera douter ? Elle semble souvent toucher son oreille. Tiens, je n’avais pas remarqué qu’elle avait ce tic nerveux.
- Et toi ? qui es-tu vraiment ? Antonio ? Sven ?
- Comment pourrais-je être sûr que tu ne me trahiras pas dès que l’occasion se présentera ?
- Puis-je te faire confiance ? Seras-tu cette personne ?
- Ecoute, tu n’as aucune garantie, si ce n’est ma parole.
Elle dit ça avec tellement d’aplomb que je suis tenté de la croire.
- On vise tous les deux un même intérêt, reprend-t-elle, et je connais un gars qui est prêt à tout prendre sans aucune négociation, ton prix sera le sien.
Bien joué, elle ne perd pas le nord..
- Je ne te trahirai pas, continue-elle. D’ailleurs, je suis ton unique chance de t’en sortir... Ecoute, je sais que ton dernier casse a foiré et que t’as besoin de thunes pour te barrer d’ici. J’ai même entendu dire que tes coéquipiers se seraient fait cueillir comme des débutants par la police, alors qu’ils tentaient de fuir. Tu vois, il ne te reste pas beaucoup de choix. Je suis ton seul recours. Alors, on y va à cette planque ?
Tout en essayant de ne pas perdre la face, je dis dans un souffle :
- Tu sais, c’est un peu de ta faute, si le casse a foiré. Tu occupes trop mes pensées.
Elle ne semble pas comprendre, je poursuis :
- Ecoute, vu que tout est joué et que l’issue semble tracée, cessons de jouer, tu me fatigues. Me voilà donc faible et vulnérable. Que décides-tu ?
Elle comprend de suite qu’elle est démasquée, interloquée, elle murmure, hésitante
- Pourquoi tu fais ça, hein ? Pourquoi maintenant ?

C’est alors que sans prévenir, de toute part, jaillirent plusieurs équipes de police, armées jusqu’aux dents et vociférant des «  A terre ! A terre ! ». Aveuglé par les lampes torches et jeté au sol sans ménagement, il garde en mémoire ses derniers mots. Menottes au poignets, il lui jeta un dernier regard avant d’être balancé dans le fourgon. Le commissaire lui serrait la main, tel un étau, la félicitant du travail accompli.
Lui

Déjà, la porte est derrière lui.
Il est dans un bureau de police plein de chaises et d’inspecteurs, il est mis dos au mur pour la confrontation.
Il sent le froid l’envahir, la porte se referme, le policier lui ordonne de s’asseoir. Il est cerné.
On vérifie son identité...

C’est foutu. Ils ne vont pas me rater cette fois. J’ai toujours pu échapper à des situations bien compliquées, mais entre les mains ennemies, je suis cuit. Les autres ont sûrement craché le morceau depuis un bail. Il faut que j’essaie d’élaborer une stratégie. Et où est-elle d’ailleurs ? Pourquoi n’est-ce pas elle qui mène l’interrogatoire. Quitte à être cuisiné autant que ce soit pas elle.
Quand le flic entre dans le bureau, je n’y crois pas mes yeux ! C’est mon indic. Merde alors ! Il me regarde sévèrement.
- Alors monsieur Marc, on comptait se faire la malle comme ça ? Sans prévenir ?
Ça devient de plus en plus fou ! Il joue le jeu l’enfoiré ! Je suis aux anges ! En même temps, si je tombe, lui aussi.
- Il parait qu’au moment de prendre l’avion pour l’Amérique vous fuyez quand la police a lancé un avis de recherche.
- Je ne le savais pas...  
Bien sûr que je le savais, cest toi qui me las dit. 
- Bien sûr et vous alliez aussi revenir ? 
Ils se regardent en silence, aucun des deux ne bouge. Le policier le regarde fixement avec un rictus.
Raphaël regarde le policier, avec un petit sourire au coin des lèvres il dit:
- Je ne parlerai plus qu’en présence de mon avocat.
- Ce sera utile... Cet avocat vous rendra visite en prison.

Il est neuf heures dix quand tout devint différent pour lui.

Il savait quil était royalement dans la merde, mais quand même pas à ce point.... Si ?
Il
peut pas appeler son père, il serait dans une colère terrible... Et sa mère encore moins, elle serait déçue... En pleurs... Il les décevrait encore une fois, tous les deux !
Non,
il va assumer... Ils nont pas de preuves de toute façon ! Sauf peut-être elle....
Il
ne restera pas longtemps... Lavocat viendra, le fera sortir et bonjour la liberté... Ce ne sera pas long !
Trois mois qu’il est en prison. Jamais il ne s’est trouvé aussi seul.
Pensant qu’il n’en aurait que pour quelques jours, il n’avait parlé à personne... Mais il était vite apparu que son avocat ne pourrait rien faire pour lui... Les preuves étaient irréfutables.
La seule solution, lui avait-il dit “c’est de te faire passer pour fou...” Il y pense encore.
De toute façon il est seul. Toute la souffrance qu’il porte en lui irradie sa cellule.
Entre quatre murs il ne s’est jamais senti aussi en colère.
Au temps qu’il s’en souvienne, son père l’avait toujours battu. Quand ça l’arrangeait. De temps en temps, pendant que maman faisait les courses. Après un échec aux négociations.
Au départ Raphaël n’avait pas compris pourquoi. Petit, il était un enfant angélique toujours là pour les autres, il ne manquait jamais une occasion d’aller promener le chien, d’aller faire les courses.
Et puis... Il a changé. A force de recevoir une image négative de la part de son père, il s’était pris au jeu du méchant garçon... Et avait commencé le trafic. Pour comprendre... Pour qu’il y ait une raison rationnelle expliquant la haine que son père éprouvait à son égard. Qu’il éprouve toujours d’ailleurs.
Sur une page blanche Raphaël écrit:  “Mon innommable père, mon éphé-mère.” Qu’ont-ils fait de lui ?
Son corps transpire le manque d’affection. Ce corps a toujours transpiré le manque d’affection. Et les éphémères relations qu’il a entendu n’y ont rien changé...
Combien de fois a-t-il rêvé à des bras qui s’ouvrent devant lui, près à l’accueillir. Juste le serrer sans rien dire, débordant d’amour. Mais cela n’est jamais arrivé. Seules la peur et l’angoisse l’étreignent. Il est plein d’un indicible amour, dont il ne sait que faire.
Il a le vertige même allongé sur son lit.
Derrière quoi avait-il couru jusqu’à présent? Comme une partition de Schubert, sa vie a un goût d’inachevé.
Schubert... l’Ave Maria. Cette musique l’oppresse tout autant qu’elle l’exalte. 
Maintenant il n’attend plus que le procès, pour la revoir. De loin. Pas longtemps. Mais la revoir quand même.

Auteurs : Hinde Benabdelhanin, Amandine D'Agostino, Chala Damrongrajasak, Latifa El Hamdi, Claude Loddo, Stéphanie Lucas, Micheline Van Roy

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